Bilko l'oiseau rare ! Nous arrivons à Bratislava sur un campus encore bondé malgré les vacances, lieu de vie post-étudiante de "bratislavois" pour qui voyager est synonyme de dépenses impensables, et déjà les grands immeubles gris nous clouent au sol. A peine douché, on croise un oiseau sapé camouflage militaire jaune-orange, coiffé d'une casquette dépouillée de toute étiquette, un oiseau avec qui on rigole d'emblée avant d'entrer dans des considérations plus métaphysiques. Bilko est de ces personnages qui ne cadrent avec rien sinon avec les gens, serein à l'extrême, prônant la méditation zazen comme mode de vie, et espérant pouvoir un jour se retirer dans un monastère pour méditer. Pourquoi ? Pour se trouver lui, pour s'y trouver bien, tout simplement. Une simplicité que l'on a un peu de mal à appréhender, nous qui parcourons les kilomètres comme on engouffre une tablette de chocolat, vite en tout cas. Ici, les gens apprécient leur temps libre, le passent à discuter autour d'une mousse ou à se baigner entre amis. L'animal s'empresse de me faire ma vaisselle de petit dej' malgré mes vives protestations, et j'apprend par Marek, son grand ami, que notre homme est féru de musique et notamment du fameux paléo festival de Nyon. Il étudie la physique, termine une thèse sur la "long-term stability of microstrips silicon detectors", tatonne vers la psychologie et la philosophie. Certains diraient qu'il plane, mais il aborde la vie comme elle vient, nous apprend qu'il est difficile pour lui de nous accompagner à Budapest car il faut qu'il commence son rapport de thèse à rendre dans 15 jours, mais vient quand même avec nous à une soirée perdue dans les champs. C'est l'occasion d'ailleurs de grignoter quelques brochettes autour d'un feu en dégustant une potion locale censée réchauffer le gosier. Mais Bilko, c'est avant tout une vision bien à lui de l'échange entre les cultures, crédo d'Etincelle, qui aimerait quand même contribuer, modestement bien sûr, à aider nos lecteurs à mieux cerner les gens des pays qu'on traverse. Un portrait n'est certes qu'une petite tâche colorée, mais mis bout à bout, un tableau en ressortira, on l'espère. Nous allons donc au supermarché, lieu qui semble à Bilko parfaitement adapté pour discuter, une caisse de bière sous le bras. Il m'explique qu'il existe un dieu que l'on ne peut nommer, mais que l'on peut atteindre, à travers la méditation justement. Bilko me montre sur tous les articles du supermarché cette présence, jusqu'à m'assurer que l'énorme gateau au chocolat à côté de moi est divin. Explication surréaliste. Et de m'illustrer que la perception de notre réalité est très relative : entre un rectangle surmonté d'un triangle et une maison, quelle différence, sinon une différence d'angle de vue ? Tout serait prisme déformant à travers lequel nous regardons le monde. Prisme qui en pivotant renvoie une image différente d'une même chose, question d'interprétation peut-être. Les différentes interprétations...Qu'est qui fait justement que je vais voir un rectangle là où mon voisin verra une maison ? Est-ce parce qu'on parle des langues différentes que l'on ne se comprend pas toujours ? Ou est-ce autre chose, de plus fondamental, ancré dans la culture ? Bilko a une réponse bien à lui, en tout cas : les hommes sont tous un, et se comprennent, au-delà du langage, via des "flots d'énergies" qui circulent librement. La communication vue sous forme d'ondes énergétiques en quelques sortes. Une vision bien inspirée du Bouddhisme, et plutôt déroutante pour un physicien averti... Et d'illustrer cela par un échange Français-Slovaque : tout est affaire d'intonations et de sourires finalement, de "musique" de la langue, une musique universelle. Et lorsque Bilko éclate de rire après avoir parlé d'un ton posé et régulier pendant une demi-heure, pas besoin de comprendre le slovaque pour rire avec lui. Faire passer des émotions et des rires, oui, mais des idées ? En tout cas, comprendre l'autre ne serait pour Bilko qu'une simple affaire : capter ce flot énergétique, le canaliser et l'absorber pour en ressentir la signification. Une sorte de communication empathique... Il est en tout cas réconfortant de constater que des étudiants manquant cruellement de moyens ne se perdent pas en considérations matérielles vaines. Ils semblent accepter tacitement ces conditions de vie plutôt moyennes dans un campus largement insuffisant pour tous ces étudiants qui s'entassent. Ici, on se préoccupe de philosophie, de métaphysique, et de vie surtout. Bilko et son ami Marek, c'est avant tout un désir de partager un moment avec nous, avec leurs amis, d'embrasser la vie à pleines dents. La route d'Etincelle continue, et Bilko restera dans notre mémoire celui qui contemple le ciel du haut des grands batiments bétonnés du campus de Bratislava. Et on reste là, béat, mais on ne parle pas pour autant plus le slovaque, et les flots d'énergies ne nous sont d'aucun secours lorsque vient le moment de demander sa route. Mais le voyage, c'est ça aussi : un voyage dans les idées et les rencontres, et pas seulement dans un pays. Et Bilko continue de voyager avec nous, quelque part dans son ciel à lui, Bilko l'oiseau rare... Romain |