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Qui sème l'hypocrisie et l'austérité...

Sur une des grandes artères de Téhéran, nous roulons à grande vitesse à bord de la voiture de Shahab. Je regarde le paysage défiler. Entre autres, ce matin-là nous passons devant la forteresse réservée aux prisonniers politiques, que Shahab voulait absolument nous montrer. Tout-à-coup je regrette de ne pas m'être armée d'un appareil numérique. Sur le mur grisâtre d'un arrêt de bus, au-dessus de quelques femmes voilées jusqu'aux yeux, des lettres noires étalent le mot Hypocrisie.

C'est un terme qui revient souvent dans la bouche des jeunes que nous rencontrons ici. Pas besoin de chercher très loin pour comprendre pourquoi. Les mollahs eux-même sont critiqués par tous pour leur souplesse à faire le grand écart entre un respect militant de principes extrapolés du Coran, et une vie de faste et de débauche. Leur assiduité ostentatoire à la mosquée ne trompe personne. Le tabou du sexe avant le mariage et le cloisonnement perpétuel entre filles et garçons aboutit parfois à des rencontres glauques et furtives, entre deux personnes qui se connaissent à peine, où sodomie et fellation permettent d'éviter de déflorer la jeune fille.

Surtout, ce mot reflète la dualité ambiante aujourd'hui en Iran. Les sentiments, comme les émotions, les envies et l'exubérance se heurtent à un mur autoritaire de rigueur et d'austérité. Toutes les humeurs vives et les aspirations à plus de liberté, d'égalité semblent mises sous cloche, non seulement ignorées mais en plus considérées comme illégitimes. L'hospitalité généreuse de tous finit par me sembler incompréhensible dans ce climat d'austérité. Chaque mosquée est éblouissante par l'éxubérance délicate de ses formes et de ses couleurs, et pourtant ce sont les sanctuaires de l'Islam, censé justifier le carcan imposé à tous à chaque instant. La propagande permanente pour le père rayonnant de la révolution s'étale jusqu'à la nausée à la télé et dans les rues de Téhéran.

Et pourtant ça n'empêche pas tous ceux que nous croisons, étudiants aisés, chauffeurs de taxi, vendeurs de tapis comme chômeurs, de nous confier leur haine de cette dictature du clergé, à mots plus ou moins découverts.

La culture iranienne est riche, et elle est toujours vivante et créative. Par exemple, la musique traditionnelle est omniprésente. Tous savent la danser, la chanter et quasiment tous savent jouer d'un instrument au moins: daf, tamboor, thare, ou cithare. Les jeunes filles savent toutes danser à la mode persane, faire bouger leurs hanches harmonieusement (mais aussi très suggestivement), la tête haute et les bras dessinant des mouvements lents et gracieux. Pourtant, diffuser de la musique dans un endroit public a longtemps été interdit, et écouter de la musique un peu fort chez soi est très suspect et peut vous attirer la milice des moeurs. Les femmes n'ont pas le droit de danser devant des hommes. Pour le théâtre, c'est le même contraste. La richesse et la créativité qui s'expriment sur les planches n'ont d'égal que la difficulté à contourner la censure. La rigueur et l'austérite dans la vie quotidienne semblent aussi contre-nature ici.

Je vois plutôt un peuple qui prend son temps, où les familles pique-niquent partout où il y a un peu de verdure, où les jardins d'enfants sont pleins à minuit, où les narguilés glougloutent pendant des heures, arrosés de thé... C'est aussi un peuple dont la religion, le schiisme, accepte le marriage temporaire. Du moment qu'il s'agit de deux adultes consentants, et qu'ils récitent la formule religieuse nécessaire, simplement entre quatre yeux, ils sont libres et dans le respect de Dieu. Sans intervention de l'Etat et sans l'avis des mollahs. Pourtant beaucoup de jeunes garçons nous ont dit avoir fait de la prison (avant l'arrivée au pouvoir de Khatami, en 97, réformiste réélu en 2001) pour avoir été surpris simplement en train de discuter avec une jeune fille qui n'appartenait pas à leur famille.

C'est aussi en Iran que se trouvent certains des plus grands poêtes Soufis, comme Hafez et Saadi. Ça ressemble à une claque scandaleuse dans la figure de Khomeini (l'Imam qui fonda la République Islamique d'Iran après la révolution de 1979): les Soufis sont des musulmans mais rejettent les cinq piliers "formels" de l'Islam. Pour eux être musulman ne signifie pas respecter un ensemble de codes et de règles imposés. Au contraire, ils pratiquent un Islam où le rapport à Dieu est intime. Etre musulman c'est pour eux s'efforcer de s'élever vers Dieu par un travail spirituel sur soi, à travers la musique, la poésie ou l'amour par exemple. Ce qui sape les bases mêmes de la République Islamique, qui veut imposer l'Islam en forçant la population à obéir à des normes.

Tout ça pour dire que le carcan imposé à la société iranienne par la république islamique est contre-nature et très lourd. Les frustrations et les ressentiments s'accumulent. Se balader dans un bazaar sans subir une main aux fesses est impossible. Les jeunes s'ennuient à mourir, ils manquent d'occupations puisque tellement de choses sont interdites. Les filles sont écrasées de convenances, semblent souvent soumises et résignées, et comment peut-il en être autrement? Pourtant le mécontentement gronde. Je me demande, comme tous les étrangers de passage ici, jusqu'à quand ces règles impossibles auxquelles personne ne croit vont continuer à fixer la norme. Les jeunes iraniens auxquels j'ai pu parler sont partagés sur la question.

Akbar, 19 ans, étudiant en design industriel, a confiance, pour lui la situation va s'améliorer progressivement. L'élection puis la réélection de Khatami au pouvoir, comme l'autorisation récente de diffuser de la musique en public et la plus grande tolérance envers la tenue vestimentaire des filles sont à ses yeux autant de signes positifs.

Roshanak a 24 ans, elle a un diplôme de secrétaire mais ne trouve pas d'emploi. Elle est plus pessimiste:"Seul un soulèvement populaire pourrait débloquer la situation, mais ça ne sert à rien d'espérer. L'armée est trop puissante, les mollahs contrôlent tout, et la révolte des jeunes a de toutes façons été brisée par la mauvaise expérience de 1999" (des étudiants ont été exécutés pendant les manifestations étudiantes de l'été, et beaucoup d'autres ont été emprisonnés et torturés par la suite).

Pour Ali, 22 ans, barbier, les religieux ont tout le pouvoir et l'argent et n'ont donc aucune raison de les lâcher. Ils vont continuer à imposer leur lois "intégristes" encore de très nombreuses années. D'autant plus que le régime a donné quelques signes de relâchement pour calmer le jeu. C'est comme ça qu'Ali interprète ce qui est perçu par d'autres comme des signes positifs. Le Conseil de religieux chargé d'accréditer les candidats à l'élection présidentielle a surpris en permettant à Khatami, réformiste avéré, de se présenter en 1997. Ça a permis de relâcher la tension. Mais concrètement Khatami n'a aucun pouvoir. Il est sous l'autorité de l'Imam, et des Conseils de hauts dignitaires religieux. Il est censé ne s'occuper que des affaires courantes du pays, et peut être renvoyé sans l'avis du peuple iranien.

Moi je ne sais pas quoi penser, j'ai juste peur que toutes ces frustrations et tout ce ressentiment accumulé ne finissent par exploser violemment. Tout semble tellement bloqué, et pourtant 60% des iraniens ont moins de 25 ans. Par quel miracle pourraient-il courber l'échine éternellement face à des gens qu'ils ne respectent pas et dont les justifications ne représentent plus rien?

Chach

 

 

 



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