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Nicolae et Gabriela

Timisoara, 10 juillet : nous ne sommes que quelques uns à être restés dans le bus, sagement garé au milieu du campus, pendant que le gros de l’équipe est parti en ville. La chaleur est suffocante, nous nous occupons bassement des tâches ménagères : rangement, vaisselle, réorganisation de notre capharnaüm etc. Des étudiants passent et repassent autour de cette drôle de bête colorée qui assure notre transport d’une ville à l’autre (et jusqu’ à Bombay on l’espère). Not’Safar, au repos, les bordures métalliques brûlantes, intrigue et fait rire. Deux jeunes, un garçon et une fille, passent tout prêt de la porte arrière avec une bouteille de Cola à la main, et la conversation s’engage. De cette rencontre éphémère, accroupis au fond du bus autour de leur Cola et de nos restes de riz blanc, nous avons eu envie de tirer un portrait croisé.

Lui est très brun, elle est blanche aux yeux bleus. Elle a 22 ans, lui 25, et tous deux ont leurs derniers exams à la fac d’agronomie dans quelques jours. Ils semblent si complices, pourtant nous saurons ensuite qu’ils se sont connus le jour même. Leur rêve : lui voudrait partir en volontariat humanitaire en Afrique, elle souhaiterait exercer son métier de recherche génétique à un haut niveau. Leurs dialogues sont souvent hilarants : lui s’envole, elle lui remet avec aplomb et humour les pieds sur terre. Leur point commun, en contraste avec la majorité des jeunes que nous avons rencontrés, est qu’ils se sentent bien en Roumanie et souhaitent y rester. En effet, l’ambiance détendue, leurs visages épanouis nous donnent envie de rester discuter jusqu’au soir ... et d’oublier le refrain « certes, en Roumanie, les gens sont accueillants, mais la vie est dure, c’est la grande débrouille du chacun pour soi »...

La veille, un jeune professeur de l’université (Gabriel, 34 ans) nous avait bâti un tableau désabusé du système d’éducation tertiaire. « C’est simple : en informatique la formation que nous offrons est vouée à l’exportation. L’année dernière, toute la promotion qui a reçu son diplôme est partie aux Etats-Unis et en Allemagne. Pas un n’est resté travailler en Roumanie. »

Celui-ci nous décrivait le clivage entre les jeunes professeurs et les vieux, leur écart de salaire gardant une proportion de 1 à 10, et les règles du jeu étant pour le moins troubles. En effet, la hiérarchie officieuse des professeurs s’apparenterait à une gérontocratie liée aux dynamiques politiques : un des directeurs de département universitaire serait selon Gabriel à la fois sénateur et aurait changé le règlement pour pouvoir garder son poste trois sessions de suite, ce qui au départ était interdit. A partir du moment où la nouvelle génération de profs a réclamé une harmonisation des salaires, les feuilles de paie des anciens auraient disparu de l’accès public... Lorsque nous abordons le thème des syndicats, Gabriel nous répond qu’ils existent bien sûr mais sont très formels: « personne ne s’en occupe. Les vieux sont occupés à s’enrichir, les pauvres à survivre, et les jeunes à partir... ».

Ceci appelle bien sûr à réfléchir sur l'enjeu de l'intégration à une Union Européenne, dont les règles du jeu démocratique sont bien établies même si elles ne sont pas homogènes, et pour qui l'Europe de l'est représente un marché et un réservoir de main d'oeuvre considérable. Certes, Nikolaï et Gabriela (ne vous perdez pas dans les prénoms, nous sommes revenus auprés de nos deux étudiants) sont enthousiastes à l'idée de pouvoir circuler librement en Allemagne, en France, en Espagne, et songent à l'amélioration du niveau de vie. Mais ils sont conscients que les normes de convergence auxquelles sont contraints les dix pays candidats des PECO pour entrer dans l'Union n'ont aucun rapport avec la situation réelle et les priorités de chacun de ces pays. A quoi rime en effet de dépenser des millions pour standardiser les filtres à effets écologiques quand l'état des routes et des infrastructures par exemple n'est pas pris en compte lors de cette négociation sur l'élargissement de l'Union?

Même s'il rêve de partir en Afrique, Nicolae se définit commme un patriote et affirme qu'il aime trop son pays pour le quitter longtemps. Lorsqu'il nous parle de ses amis, il n'emploie que le terme "meilleur ami". "Je pense que nous les roumains, nous avons un cercle large de meilleurs amis, d'amis très proches, et c'est très important pour se sentir bien ici." Il nous aligne les anecdotes, son "meilleur" ami qui l'aurait trahi en épousant celle qu'il portait dans son coeur "mais s'ils sont heureux, je ne lui en veux pas, c'est comme ça. De toute façon, elle ne sait pas le mauvais homme qu'elle a épousé!!". Un autre de ses amis est sourd, c'est pourquoi après une séance d'apprentissage mutuel de français et de roumain, il nous enseigne les lieux communs du langage des signes. A grandes rasades de cola, nous essayons de suivre l'intonation.

Leur envie de vivre, à elle et à lui, illumine d'un rayon d'espoir le regard que nous portons sur la jeunesse roumaine, bien sûr à ne pas prendre comme un tout homogène mais à apréhender selon les différents individus que nous rencontrons. Une chose est sûre: ils ont une personnalité forte, et partager une aprés-midi avec eux fut un vrai bol d'air.

Ils nous quittent avec le sourire, et nous laissent une oeuvre à quatre mains: un poème improvisé par Nicolae et traduit par Gabriela. Histoire de garder à l'écrit la légèreté de l'instant partagé...



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